Les métiers où les dyslexiques se distinguent en entreprise

HANDICAP – Daniel Radcliffe, Keira Knightley, Steven Spielberg ou plus récemment Franck Gastambide ont contribué à briser les tabous sur la dyslexie. Mais dans le monde de l’entreprise, ce trouble cognitif reste peu connu, notamment des recruteurs. Pourtant, les personnes dyslexiques représentent un cinquième de la population active. Suffisamment, donc, pour s’intéresser aux compétences spécifiques qu’elles développent et qui sont taillées pour le marché de l’emploi actuel. En tête : la résolution de problèmes et la pensée imagée, particulièrement intéressantes pour certains postes de cadres.

"Ça sert à ça de parler de son handicap, à se dire qu'on n'est pas seul (...) En fait, ton cerveau fait une espèce de bascule : tu es moins bon dans certains trucs et tu deviens meilleur dans d'autres. Comme un mal-voyant qui entend mieux par exemple." Franck Gastambide, acteur, scénariste, réalisateur, producteur

Dyslexie : un trouble peu connu en entreprise

42 % : c’est le pourcentage d’employeurs qui avouent leur ignorance sur les compétences des dyslexiques, selon l’étude « La pensée dyslexique » menée par l’association Dyslexia et ManpowerGroup en 2021 auprès de 1061 salariés dyslexiques. « Même si les choses évoluent dans le bon sens, les recruteurs sont peu familiarisés avec les troubles DYS », confirme Dominique Le Douce, directeur de l’Adapt. « C’est un handicap invisible, donc mal abordé, qui nécessite d’être vulgarisé auprès des RH et des managers », estime Delphine Pouponneau, directrice de la diversité et de l’inclusion chez Orange, à l’initiative du nouveau programme “Neuroteam”, dédié à la “diversité cognitive”.

 

Résultat : les processus de recrutement ou d’évaluation sont encore peu adaptés aux personnes dyslexiques dans la sphère de l’entreprise. « Les tests sur l’orthographe ne valorisent pas les candidats dyslexiques, qui ont tendance à être mis sur la touche, alors même qu’une fois en poste, il y a beaucoup d’outils qui permettent de remédier à des difficultés orthographiques », illustre Audrey Barlet, chef de projet RPO chez Talent Solutions ManpowerGroup. Selon l’étude, la moitié des dyslexiques estiment que leur employeur ne comprend pas les compétences associées à leur handicap. Mais de quelles compétences parle-t-on ?

"80 % des handicaps sont invisibles, la dyslexie en fait partie."

Les compétences spécifiques des dyslexiques

La dyslexie est une différence génétique à l’origine d’un trouble de l’apprentissage et de la capacité de traitement de l’information. Le cerveau des dyslexiques étant différent, ils développent des compétences qui leur sont propres. Selon l’étude de Dyslexia, la communication, la visualisation, l’imagination et le raisonnement sont des aptitudes fréquentes chez les travailleurs dyslexiques. « Ce qui les caractérise le plus, c’est leur faculté à résoudre des problèmes de manière abstraite. Ils ont une logique spatiale en trois dimensions, qu’ils ont développée en apprenant des choses autrement qu’en les écrivant », explique Audrey Barlet. C’est d’ailleurs cette perception tridimensionnelle qui attire la NASA chez les dyslexiques qu’elle recrute.

 

Ces aptitudes visuelles sont renforcées par une faculté d’appréhension multidimensionnelle. Puisqu’ils ont appris à réfléchir différemment, les cadres dyslexiques font en effet preuve de recul lorsqu’une situation apparaît. Ils l’abordent de manière plus globale, avec ouverture d’esprit. « C’est un atout dans la gestion de projet, puisqu’ils arrivent à voir, lorsqu’une problématique est posée, plusieurs points d’entrées possibles », indique-t-elle. L’empathie, la prise d’initiative, la gestion du temps sont enfin des aptitudes souvent associées à la pensée dyslexique, selon Dyslexia. « La sociabilité caractérise bien les dyslexiques, qui ont une grande capacité à travailler en équipe », ajoute Audrey Barlet.

Les métiers les plus adaptés aux cadres dyslexiques

En réalité, « il n’y a pas de métiers plus propices aux dyslexiques que d’autres. C’est plutôt la façon de les outiller qui compte », insiste Audrey Barlet. Exception faite des métiers rédactionnels, où les dyslexiques sont davantage en difficulté. Pour autant, ces cadres semblent particulièrement bien placés pour exercer des métiers où les compétences qu’ils développent sont demandées. « Leur capacité à résoudre des problèmes complexes est une compétence transverse qui est particulièrement utile pour des postes en lien avec le Big Data, la qualité, la relation client », illustre Delphine Pouponneau. Leur capacité de conception, en lien avec cette perception tridimensionnelle, leur permet également de briller à des postes d’architectes IT. « Et plus généralement à tous les postes qui nécessitent une vision à 360° dans la modélisation de produits, le prototypage... », ajoute-t-elle.

Il n’est pas rare de voir des cadres dyslexiques occuper des postes d’encadrement. « Leur empathie et leur vision globale font des dyslexiques d’excellents managers », illustre Audrey Barlet. Leurs capacités créatives, du fait qu’ils aient usé de stratégies de contournement, les rendent également doués dans la conception graphique. « Pour communiquer, ils utilisent davantage les infographies que les textes. La pensée imagée est une force dans les métiers créatifs », confirme-t-elle. Puisqu’ils ont très tôt, parfois dès leur enfance, utilisé l’informatique pour s’exprimer à l’écrit, ces cadres sont également nombreux à occuper des postes dans l’IT.

D’une manière plus générale, c’est plutôt dans les grands groupes que les dyslexiques exercent leur métier, « l’environnement proposé par les PME demandant trop de polyvalence pour eux », conclut Dominique Le Douce.

Les métiers où les cadres dyslexiques excellent

  • Expert en marketing digital
  • Développeur d’applications
  • Ingénieur en robotique
  • Spécialiste de l’iOT
  • Ingénieur FinTech
  • Data Analyst
  • Expert en cybersécurité
  • Analyste en management
  • Logisticien

Source : Étude « La pensée dyslexique », Dyslexia (2021)

Pourquoi les services secrets britanniques recrutent des dyslexiques

Jo Cavan est en charge du recrutement et de la stratégie des services de renseignement britanniques, le Government Communications Headquarters, qui assure la surveillance des réseaux et des télécommunications. Il explique au Guardian pourquoi 4 personnes de son service sur 10 présentent des troubles dyslexiques : « Nous recherchons des personnes capables de repérer rapidement des petites anomalies dans une vue d’ensemble. Ils doivent pouvoir passer au crible de grandes quantités de données pour empêcher un acte terroriste ou l’organisation d’un crime. Des aptitudes comme une bonne reconnaissance des formes et des schémas est essentielle. Et beaucoup de mes collègues dyslexiques ont ces capacités.»

Témoignage de Stéphanie Bourgeois : « Ma mémoire a compensé mes lacunes liées à ma dyslexie »

Aujourd’hui co-fondatrice de la start-up Holy Owly, Stéphanie Bourgeois a fait de sa dyslexie une force. Sa stratégie de compensation, qui consistait à tout apprendre par cœur, lui a permis d’être une manager aux petits soins lorsqu’elle travaillait en tant que cadre chez General Electric. 

« J’ai été diagnostiquée dyslexique à l’âge de 6 ans, alors que j’étais en CP : je confondais les lettres et je n’avais alors aucune géométrie dans l’espace. Les spécialistes qui m’ont suivie m’ont encouragée à suivre des protocoles afin de compenser mes lacunes. L’un d’eux portait sur le développement de la mémoire à long terme. Tout au long de mes études, j’ai donc appris par cœur mes leçons, grâce à cette mémoire que j’avais bien développée. J’étais très scolaire, car excellente pour retenir des choses très longues. Là où j’étais en difficulté, c’était pour les mettre en application, notamment lorsqu’il s’agissait d’exercices financiers ou comptables. Après avoir terminé mon cursus à Neoma Business School, j’ai travaillé en tant qu’acheteuse chez General Motors. Je suis ensuite devenue directrice des achats chez General Electric et je manageais alors près de 300 personnes. Grâce à ma mémoire, je connaissais le parcours de chacun de mes collaborateurs et je n’avais aucun mal à savoir qui travaillait sur quoi. Je faisais preuve d’empathie avec eux : lorsqu’une personne était en difficulté, j’étais protectrice vis-à-vis d’elle, certainement car j’avais moi-même été dans cette situation. Comme je travaillais dans une société américaine adepte du « ranking », je construisais pour mes collaborateurs des plans d’accompagnement pour les mettre à niveau. Quoiqu’il en soit, au cours de ma carrière, je n’ai jamais souhaité dire que j’étais dyslexique, de peur que ça me desserve. À chaque fois que je rendais des écrits, je me relisais une dizaine de fois et je recourais au correcteur orthographique. »

Témoignage de Thomas*, patron d’un cabinet de recrutement : « Quand je recrute, ma dyslexie n'est pas un handicap »

« Ce n’est pas une maladie, on n’en guérit pas, mais j’ai toujours fait avec. J’étais un enfant dyslexique, un étudiant dyslexique (j’ai décroché deux masters), je suis devenu un adulte dyslexique. Et un recruteur dyslexique ! Je pense apporter une différence aux entreprises même si je ne veux pas la revendiquer. Le fait que je ne retienne pas les noms des gens peut sembler être un handicap dans ce métier de recruteur. Ce n’est pas le cas : certes mon cerveau anonymise les CV mais je peux mémoriser jusqu’à une centaine de parcours professionnels pour un même poste. Mon cerveau crée une image dynamique des candidatures et ça facilite la sélection. Quand je reçois un cahier des charges, je repère vite les points clés et les incohérences et ça me permet d’être très réactif pour y répondre. Il m’arrive souvent d’appeler un collaborateur par un autre nom que le sien. Je les ai prévenus et ils ne m’en tiennent pas rigueur. Pour pallier mes problèmes d’orthographe, je fais systématiquement relire mes mails par Antidote ou/et un collaborateur. Mais parfois, pour aller plus vite, je me permets d’envoyer des textos non corrigés à des clients qui me connaissent bien. Ma dyslexie m'a rendu forcément plus attentif aux différences chez les autres, j'essaie toujours d'y trouver un aspect positif. » S.D.P.

* Il a préféré garder l'anonymat

Source Cadremploi