Pourquoi ils refusent un poste si le télétravail n’est pas négociable

TELETRAVAIL – En ce jour de début de retour progressif au bureau, nous avons voulu vérifier une rumeur persistante. Certains cadres refuseraient les postes sans possibilité de télétravail au moins quelques jours par semaine. Non seulement des cabinets de recrutement nous ont confirmé en avoir rencontrés mais certains refusent aussi de chercher des candidats pour les employeurs réfractaires au télétravail. S’il est encore trop tôt pour chiffrer l’ampleur du phénomène, cinq de ces professionnels décryptent pour Cadremploi ces comportements.

Ils témoignent

  • Loïc Douyere, le dirigeant du cabinet de recrutement Florian Mantione institute
  • Stéphanie Lecerf, DRH de Pagegroup France et présidente de « A compétences égales ».
  • Alain Mlanao, directeur général de Walters People France
  • Frank Ribuot, président du groupe Randstad en France
  • Emmanuel Stanislas, dirigeant du cabinet de recrutement Clémentine

Elle habite Bordeaux et refuse un poste à Montpellier

Refuser un poste si l’employeur impose une présence au bureau alors que le poste est télétravaillable ? C’est ce qu’a fait Mélanie*, installée à Bordeaux. Elle a postulé pour un job de directrice de business unit dans une société de e-commerce située à Montpellier. « Une très bonne candidate, commente Loïc Douyere, le dirigeant du cabinet de recrutement Florian Mantione institute. Pour des raisons familiales, elle voulait rester en Gironde et venir quelques jours par semaine dans l’Hérault. Quand elle a su que le télétravail n’était pas négociable, elle a retiré sa candidature. Dommage. », selon Loïc Douyere.

Le télétravail, nouvel indicateur de bien-être au travail

Mélanie est-elle un cas isolé ? On manque encore de données pour savoir si les cadres ayant la possibilité de choisir leur employeur font du télétravail un critère désormais incontournable. Néanmoins la pandémie et les habitudes liées au télétravail semblent avoir laissé des traces sur les attentes des cadres vis-à-vis de leur employeur. Le dernier baromètre Cadremploi sur l’entreprise post-crise révèle que 80% d’entre eux projettent de devenir plus exigeants vis-à-vis de leur employeur, principalement sur le maintien de l’équilibre vie pro-vie perso (68%) et donc sur la possibilité de pratiquer le travail à distance (64%).

Une exigence plus timidement exprimée par les autres catégories de salariés, moins favorisées sur le marché de l’emploi post-pandémie : dans la 12e édition de son étude Employer Brand Research parue en mai 2021, Randstad pointe l’apparition du télétravail à la 10e place des critères de choix d’un nouvel emploi en 2021, cité par 38% des Français, très loin derrière le salaire qui demeure le principal levier de motivation (65%) devant l’ambiance de travail (63%) et l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle (58%), selon cette étude.

Pas de télétravail, moins de candidats

"C’est aussi le sens de l’histoire. Les sociétés qui tardent à mettre en place le home office voient leurs salariés les quitter pour trouver mieux ailleurs", selon Alain Mlanao, le directeur général de Walters People France

Du côté des cabinets de recrutement, le télétravail fait aussi bouger les choses. De nombreux cabinets de secteurs « télétravaillables » indiquent devoir expliquer aux employeurs que « sans télétravail prévu pour ces salariés, ils s’aliéneront une partie des bonnes candidatures », explique Alain Mlanao, le directeur général de Walters People France, structure plaçant quelque 1000 cadres par an.

Ce cabinet recrutera d’ailleurs une dizaine de consultants en 2021 pouvant travailler jusqu’à 2 jours par semaine à distance. « Quand le télétravail est possible, nos candidats demandent systématiquement s’il est prévu dans le contrat, ajoute-t-il. C’est une question de qualité de vie au travail. C’est aussi le sens de l’histoire. Les sociétés qui tardent à mettre en place le home office voient leurs salariés les quitter pour trouver mieux ailleurs. Mais ce refus est de plus en plus rare et vient rarement des dirigeants d’entreprise. Ce sont des cas individuels, de managers voulant garder un œil sur leurs troupes, une vision old school du travail. Car le travail développe la productivité des cadres, permet de développer la confiance, d’être plus responsable et par conséquent plus efficaces ».

Le télétravail incontournable pour les fonctions en tension

Pour les fonctions les plus en tension comme les hautes technologies, l’intelligence artificielle, la data ou la cybersécurité, le télétravail n’est même plus une option. « Ce n’est plus possible de le refuser dans ces milieux, tranche Emmanuel Stanislas, dirigeant du cabinet de recrutement Clémentine. La globalité de nos candidats veut du télétravail au moins partiel. Sans télétravail, les employeurs de secteurs en tension se retrouvent hors-jeu. », selon Emmanuel Stanislas.

D’autres vont encore plus loin comme ce spécialiste du recrutement dans l’intelligence artificielle :

Moi, quand un client ne propose pas de télétravail, je sais que je ne trouverai pas de candidats et je ne prends pas la mission…

La façon de faire déplait dans le milieu qui estime qu’un cabinet est là pour réaliser des embauches quand elles sont difficiles.

De son côté, Stéphanie Lecerf, la présidente de A compétences égales et DRH de Pagegroup France, ne refuse pas de mission mais prévient ses clients : « Le recrutement est une rencontre entre un candidat et un recruteur. Nous prenons toutes les missions. Mais si notre client n’a pas prévu de télétravail alors qu’il est possible, il se prive de bons candidats. Cela touche tous les secteurs. Le télétravail, auparavant cantonné dans les métiers du conseil ou des hautes technologies, évolue. Le BTP ou la grande distribution commencent à répertorier les postes ouverts au home office ». Le cabinet devrait lui-même recruter une petite centaine de consultants en 2021. « Il est prévu, pour eux, quelque 2 jours de télétravail par semaine. », selon Stéphanie Lecerf.

Le télétravail promu par l’interne pour faciliter les recrutements

Même pour les structures spécialisées dans l’agroalimentaire, des employeurs parfois très « vieille France », le télétravail devient un enjeu. « J’ai été missionné par une société occitane de fertilisants, plus conservateur on ne peut pas, sourit le dirigeant Loïc Douyere, du cabinet Florian Mantione institute. Poussés par les collaborateurs, la direction a mis en place un accord sur le télétravail et ce afin de faciliter les recrutements. Il faut dire que ce n’est pas facile d’attirer des ingénieurs agro ou des acheteurs de bons niveaux dans ces petites villes. Ces employeurs avaient une vision localo-locale. Ils s‘ouvrent et le télétravail proposé à leurs salariées en est un symbole qui attirent des candidats plus digitalisés que leurs employeurs. Ces derniers ont peur de perdre le contrôle de leurs cadres. Or, ils se sont aperçus, avec le Covid, que leurs managers travaillent plus en télétravail. Alors le Home office avance même si de nombreux freins demeurent ».

 

Nous conseillons à nos clients de proposer du télétravail à leurs salariés, selon Frank Ribuot, président du groupe Randstad en France

Le télétravail permet d’élargir son périmètre de recrutement

Selon l’étude de Randstad, 2 % des salariés interrogés dans leur étude se sont vu refuser tout télétravail. « Nous conseillons à nos clients de proposer du télétravail à leurs salariés, » conclut Frank Ribuot, président du groupe Randstad en France qui propose 42 000 missions par an aux cadres et qui va embaucher, pour sa structure, 1200 consultants. Il leur proposera, c’est en cours de négociation, des journées de télétravail. « Je suis moi-même le roi du télétravail, insiste ce dirigeant qui a beaucoup œuvré à l’étranger. Je fais ce que je prêche et les salariés de notre siège disposent de 2 jours de télétravail par semaine. La question est donc de savoir si nos clients veulent réduire leurs embauches sur une ville ou s’ils veulent toucher un périmètre plus large ? Le télétravail ouvre donc les possibles et permet de recruter des candidats de qualité ne vivant pas dans son bassin d’emploi ».

Qui télétravaille en France ?

  • Selon une étude de Randstad, seul 2 % des salariés se sont vus refuser du télétravail alors que cela était possible. 41 % des salariés ont télétravaillé partiellement ou totalement pendant la crise sanitaire.
  • De son côté, le groupe Michael Page, le leader, en nombre de missions réalisées en 2020, des cabinets de recrutement, explique, dans son étude sur les (r)évolutions de l’organisation du travail générées par la crise menée auprès de 500 décisionnaires RH en France, que le télétravail se développe fortement en entreprise, passant de 33 % des décisionnaires RH indiquant qu’aucun collaborateur de son entreprise « n’avait recours au télétravail en 2019 à 18 % en 2021 ».

* Le nom de la candidate a été changé afin de préserver son anonymat.

Source Cadre Emploi