Le télétravail porte l'espoir de nouveaux gains de productivité

Des études réalisées aux Etats-Unis montrent que le recours au télétravail augmente la productivité d'environ 5 % en moyenne. Mais tout dépend de l'acceptation des salariés, de leur formation et de leur préparation à ce mode d'organisation. Car les risques sont nombreux, notamment pour l'innovation et le sentiment d'appartenance des salariés à un collectif.

Les économies rouvrent, mais le télétravail reste. Pas à plein temps comme lors des confinements, bien sûr. Mais dans leur ensemble, les salariés veulent télétravailler un, deux, voire trois jours par semaine. Si, depuis mars 2020, le télétravail a été la planche de salut de nos économies, que va entraîner sa généralisation pour les gains de productivité ? C'est un des enjeux du monde d'après : atteindre une croissance plus élevée qu'au cours des deux dernières décennies, notamment pour rembourser la montagne de dette et augmenter le niveau de vie des populations.

« Environ 40 % des emplois en France peuvent être effectués partiellement en télétravail et près de 30 % peuvent l'être sans perte de productivité dans la durée », estime Sébastien Lacroix, directeur associé senior chez McKinsey. De l'autre côté de l'Atlantique, Nicholas Bloom, professeur à l'université californienne de Stanford, estime que 20 % des heures travaillées aux Etats-Unis le seront à domicile après la pandémie, contre seulement 5 % avant.

Des effets encore ambivalents

Mais les effets sur la productivité restent encore ambivalents. « On observe une augmentation de la productivité des salariés consacrant une part substantielle de leur temps de travail à des tâches administratives ou répétitives. Pour les métiers laissant une large part à la créativité et l'innovation, les interactions propres à la collaboration sur site demeurent essentielles », relève Sébastien Lacroix.

Globalement, Nicholas Bloom, plutôt optimiste, estime que le recours au télétravail augmente la productivité d'environ 5% en moyenne, notamment grâce au temps de transport économisé. Le nombre d'heures travaillées augmente en télétravail. Selon une enquête réalisée par McKinsey, 50 % des dirigeants interrogés estiment que la productivité du travail en équipe a progressé avec le télétravail, tandis que 15 % jugent qu'elle s'est dégradée. Avec les investissements réalisés par les entreprises dans les outils numériques pendant la pandémie, le télétravail laisse espérer un rebond des gains de productivité. Ce qui serait une bonne nouvelle puisque ces derniers n'ont fait que s'affaiblir depuis quarante ans.

L'exigence de préparer les salariés

Mais ce n'est pas si simple. En étudiant des entreprises de Tokyo passées en télétravail, Masayuki Morikawa, un chercheur japonais, montre que la productivité du travail à domicile plonge de 30% par rapport au travail dans les locaux de l'entreprise. Avec un bémol : plus les entreprises avaient déjà l'habitude du télétravail, plus la productivité augmente. Ce qui fait dire aux économistes de la Banque de France dans une étude récente que « les effets du télétravail sur la productivité seront d'autant plus positifs que cette forme de travail suscite l'adhésion des travailleurs et du management , et que l'ensemble des acteurs sont préparés et formés à ce mode d'organisation ».

D'autres restent circonspects. « Aujourd'hui, les entreprises s'adaptent au télétravail parce qu'elles constatent l'appétence de leurs salariés et les économies qu'elles peuvent réaliser, notamment en matière d'immobilier », estime Emmanuel Jessua, économiste chez Rexecode. Mais « il est possible qu'elles soient trop optimistes. Les profits qu'elles vont tirer de la mise en place du télétravail sont en grande partie immédiats tandis que les coûts sont plus cachés, plus diffus. Ils n'apparaîtront qu'à plus long terme », craint l'économiste.

L'impossibilité d'avoir des interactions informelles, c'est-à-dire des discussions à la machine à café, pourrait bien avoir des effets négatifs sur l'innovation. Le sentiment d'appartenance au collectif pourrait aussi s'étioler petit à petit, et une fracture entre salariés se créer. Enfin, il est possible que la transmission des savoirs, le soutien et l'aide entre collègues pâtissent du travail à domicile. Pour toutes ces raisons, l'effet global du télétravail sur la productivité de nos économies reste encore largement inconnu. Le plus probable est que les entreprises expérimentent, tâtonnent et fassent des allers-retours sur le télétravail. Les consultants, les économistes et les DRH ont des années de travail assurées devant eux.

Source Les Echos