Comment le télétravail a changé notre façon de communiquer en entreprise

Une étude portant sur plus de 60.000 employés de Microsoft met en évidence les effets du travail à domicile imposé sur la coopération et la communication dans une organisation.

Dans 30 ans, nous considérerons sans doute cette période comme le catalyseur d'un nouveau monde de travail numérique. Cette expérience, qui ne trouve guère d'autres comparaisons, commence à livrer les premières indications sur la façon dont nous nous organiserons à l'avenir.

Le mois dernier, le magazine Nature Human Behavior a publié une analyse des schémas de communication chez Microsoft durant le covid. Microsoft reste, bien sûr, Microsoft. L'entreprise est assise sur une mine d'informations vu que toutes les interactions y sont enregistrées, contrôlées et mesurées. E-mails, calendriers, heures de réunion programmées ou non programmées, SMS, appels vidéo et téléphoniques, heures prestées... Tous les aspects de la communication ont été passés au crible dans les moindres détails.

Cela donne un tableau unique de la manière dont un régime imposé de travail à domicile a modifié les habitudes de communication au cours du premier semestre de l'année passée.

Travail en silos

Les données montrent trois tendances importantes.

Premièrement, la collaboration s'est faite davantage en silos. Vous obtenez des groupes plus isolés, qui communiquent plus intensément entre eux mais moins avec les autres groupes. Lorsque le flux d'informations entre les groupes se tarit, l'innovation en pâtit. De nouvelles applications et solutions aux problèmes émergent de la coopération entre les groupes.

Deux : le réseau de chacun de ces groupes devient plus rigide. Dans le cadre d'une coopération normale, il arrive que des personnes disparaissent de votre réseau et que de nouvelles personnes y soient ajoutées. C'est un processus tout à fait sain. Le sang neuf donne de l'oxygène. Le contexte du travail à domicile a créé une anémie. Le réseau ne se renouvelle plus car les gens capitalisent sur les réseaux existants.

Troisièmement, il y a eu un passage involontaire de la communication synchrone à la communication asynchrone. En vidéo ou lors d’une conversation téléphonique, vous travaillez en synchronie : les personnes travaillent sur la même idée, au même moment et échangent directement des informations. Dans une collaboration asynchrone, les personnes travaillent ensemble à des moments différents.

Quel impact sur l'innovation?

On pourrait s'attendre à ce que le géant informatique américain qui a produit le logiciel MS Teams soit idéalement outillé pour faciliter la communication synchrone. Mais même chez Microsoft, la communication s'est déplacée vers le courrier électronique et les messages instantanés. Ces médias asynchrones sont psychologiquement moins "riches". Ils sont excellents pour transmettre des informations, mais moins adaptés pour transmettre des intentions sous-jacentes afin de parvenir à une interprétation et à des modèles mentaux partagés.

Tout au long des analyses, il est apparu que la coopération dépend de chaque individu dans une équipe. Une personne travaillant à domicile affecte donc non seulement la communication de toute l'équipe, mais aussi celle des autres équipes.

Les chercheurs de Microsoft n'hésitent pas à conclure de la sorte : "Nous pensons que les effets sur la collaboration et la communication auront un impact à long terme sur la productivité et l'innovation".

C'est là que se trouve le talon d'Achille de l'étude. Elle met en évidence des changements remarquables dans les modes de communication, mais elle ne nous dit pas si cela a nui à la productivité ou à la production. Et quid s'il y a effectivement une rigidité et un appauvrissement des modes de communication mais que c'est associé à une meilleure productivité parce que nous sommes plus concentrés?

La leçon à tirer est qu’il faut bien réfléchir aux formes de travail hybrides. Lorsque des individus, des équipes ou des services choisissent de travailler à domicile, ils influencent également la communication et la coopération avec les autres équipes. Pour contrecarrer ces effets négatifs, il est suggéré de travailler des jours fixes à l’échelle de l’organisation; des jours, donc, durant lesquels tous les employés viennent au bureau. C’est évidemment une recommandation surprenante pour une entreprise qui vit de la vente de logiciels de télétravail.

Les réseaux humains sont un enchevêtrement chaotique de relations et d'interactions. Et il devient de plus en plus évident que ces réseaux se présentent différemment dans une organisation physique et dans son équivalent numérique. Le défi pour les entreprises sera d'améliorer la collaboration dans le monde numérique de telle sorte que nous ne perdions pas le lien personnel.

Frederik Anseel
Professeur de gestion à l'Université de Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney

Source L'Echo