Télétravail : les PME tâtonnent, sous la pression des employés

Libres de le mettre en place ou non, les employeurs sont de fortement poussés par leurs salariés à intégrer une dose de télétravail. Le sujet reste sensible à négocier et les clauses de revoyure dans un an apparaissent.

Travail à distance à 100 % ? Deux ou trois jours par semaine ? Ou retour au présentiel ? Depuis le 1er septembre, et la fin des injonctions de l'Etat, les entreprises ont la main sur le télétravail. Un sujet majeur mais aussi ultrasensible. Et qui vire parfois au casse-tête dans les petites et moyennes entreprises.

Perçu comme un moindre mal s'imposant sous la pression des salariés, ou vécu comme une formidable opportunité, le travail à distance est le sujet RH incontournable de cet automne. Maintenant qu'ils n'y sont plus contraints, certains dirigeants ferment la porte, comme Jacques Mottard, président de Sword, société de services numériques créée à Lyon en 2000 et implantée, depuis, au Luxembourg : « On a joué le jeu pendant le Covid, mais en période de stabilité, j'y suis hostile à 100 % car la productivité se réduit inexorablement. » Mais ces cas sont de plus en plus rares. En réalité, chacun tâtonne pour trouver la bonne recette .

Sygmatel impose de revenir au bureau en cas de réunion importante

« Vous m'auriez interrogé il y a deux ans, je vous aurais répondu que le télétravail, 'c'est un truc pour les bobos du numérique' », avoue Olivier de La Chevasnerie, à la tête de Sygmatel, groupe d'électricité nantais (350 salariés répartis sur 12 sites en France). « Mais aujourd'hui, c'est un sujet de non-retour, j'ai changé d'avis », pose celui qui est à la tête du Réseau Entreprendre depuis quatre ans. Le passage en mars 2020 de 50 de ses salariés en télétravail a été, comme pour beaucoup de PME, un déclic. Sa mise en place, même si elle ne concerne pas les 300 salariés dans l'installation et la maintenance, a été abordée avant l'été.

Les principes ont été posés dans une charte : un jour par semaine sur la base du volontariat et après accord du manager, avec quelques clauses, comme celle de revenir en cas de réunion importante. En revanche, l'idée initiale d'exclure le télétravail les lundi et vendredi a été abandonnée devant la réaction des salariés. Le cas par cas est aussi accepté, comme cet informaticien parti vivre à Saint-Brieuc, en Bretagne, et qui ne revient qu'épisodiquement. « Son chef de service était d'accord, j'ai laissé faire », glisse Olivier de La Chevasnerie. Le télétravail fait des émules chez les cadres de chantier (40 personnes) qui aimeraient y goûter. « Avec la crise, il y a eu beaucoup de sujets de friction ou d'incompréhension. Le télétravail a failli en être un, heureusement ça n'est plus le cas », poursuit le dirigeant.

BoondManager garde ses 35 salariés au 100 % à distance

Chez cet éditeur de logiciels pour les entreprises de services et d'ingénierie en informatique (SSII), tout le monde est en télétravail. Pas question de changer un modèle de travail ancré depuis la création de la société brestoise il y a douze ans. « Depuis cette date, nous n'avons jamais eu de bureaux communs », indique Lucie Barreau, la responsable marketing. Chacun travaille de chez soi. Lucie Barreau est installée à Bordeaux, l'un des associés vit à Barcelone quand un autre est Brestois depuis toujours. « Nous sommes tous rodés à cette méthode de travail à distance. Une messagerie permet d'échanger et de suivre l'emploi du temps de chacun. Les visioconférences sont régulières. On peut même se rencontrer virtuellement au moment des pauses-café », continue la responsable. Et cela ne semble poser aucun problème.

Trois fois par an, des séminaires en présentiel rassemblent pendant deux ou trois jours l'ensemble de l'équipe de BoondManager. La société, qui réalise un chiffre d'affaires annuel de 4 millions d'euros, entend accélérer ses embauches pour atteindre une équipe composée d'une centaine de personnes dans cinq ans. La capacité à travailler à distance est un des critères. Chaque recrutement nécessite une attention particulière afin de sélectionner des candidats suffisamment mûrs, capables de se gérer seuls. « Très vite, au bout seulement de deux ou trois semaines, on voit si la personne s'adapte au 100 % télétravail », réagit Lucie Barreau.

Chez Semardel, on ne craint plus la guerre cols blancs-cols bleus

Semardel, société francilienne d'économie mixte spécialisée dans la collecte et le traitement des déchets, s'étonne encore d'avoir négocié en quelques jours seulement les conditions du télétravail avec les représentants syndicaux. L'accord a été signé le 1er septembre, prévoyant deux jours possibles par semaine. Or, ce n'était pas gagné d'avance. D'abord, l'entreprise n'en avait pas du tout la culture avant le Covid. Ensuite, l'activité n'y est pas prédestinée : 80 % des métiers de l'entreprise, qui emploie 570 personnes, ne peuvent se faire à distance. « Avant la pandémie, nous avions constaté une demande de la part des fonctions support et administration mais nous craignions que cela crée un clivage dans la société », se remémore Bénédicte Maine, DRH.

Le premier confinement et son télétravail obligatoire pour une partie des équipes ont tout balayé. « On a compris que ça fonctionnait », tranche la DRH. Et puis la question de l'attractivité pour recruter des talents s'est aussi posée. Une enquête a été menée l'été dernier auprès de 200 salariés, qu'ils aient travaillé à distance ou non. Les tâches ont été passées au crible, entre celles qui nécessitent de la concentration, de la réflexion et celles qui au contraire exigent de l'échange, du brainstorming, de la créativité. Le travail à distance a aussi été ouvert aux managers, alors que l'entreprise le refusait. Au final, 150 personnes le pratiquent. Un bilan sera tiré dans un an sur son efficacité avec une clause de revoyure. Le télétravail ne risque-t-il pas de raviver le fossé cols blancs-cols bleus ? « Pour ceux qui ne peuvent pas télétravailler, nous étudions d'autres aspects comme du matériel plus adapté ou des horaires aménagés », commente Bénédicte Maine.

Sia Partners compose avec le déménagement de ses consultants en province

Peu importe où sera localisé le futur consultant que recherche actuellement le cabinet conseil en stratégie et management Sia Partners. « Qu'il soit à Paris, New York, Londres ou Marseille nous est égal. La localisation n'est plus un critère pour nos recrutements de top-managers », explique Anatole de La Brosse, directeur général adjoint de ce groupe qui compte 2.000 collaborateurs dans le monde. Si la crise sanitaire a fait voler en éclats ses dernières réserves à l'égard du télétravail, l'entreprise n'est pas novice sur le sujet. Dès 2012, elle a ouvert un premier bureau à Lyon pour y accueillir ses fonctions support et accompagner la décentralisation de certains de ses clients.

« Le télétravail de ces équipes avec notre siège parisien est devenu la norme », poursuit le manager. Cette année, l'aspiration à la douceur provinciale de plusieurs consultants confirmés a décidé le groupe à ouvrir deux autres bureaux, à Nantes ce printemps et plus récemment à Marseille, où une dizaine de collaborateurs ont déménagé, dont Anatole de La Brosse lui-même. « Parer ainsi à la fuite de nos talents est aussi l'opportunité d'en trouver de nouveaux en régions et d'investir des marchés inédits comme le secteur maritime », explique-t-il. La stratégie paie : à Nantes, Sia Partners a recruté deux anciens talents du groupe qui avaient renoncé à leur carrière pour s'installer au calme.

Source Les Echos entrepreneurs