Aux Philippines, de plus en plus de salariés ou entrepreneurs "nomades numériques" fuient la capitale Manille pour des plages paradisiaques. Une bouffée d'oxygène pour les professionnels du tourisme, exsangues du fait de la pandémie.
Aux Philippines, les salariés et entrepreneurs "nomades numériques" fuient Manille... pour les plages de rêve. Après des mois à l'étroit dans une capitale cadenassée par la crise du Covid-19, Tanya Mariano s'est décidée à partir télétravailler dans une ville de surfers, à l'instar d'un nombre croissant de d'autres salariés. Voilà plus d'un an que les étrangers ne peuvent plus voyager aux Philippines, et des restrictions drastiques existent pour les voyages à l'intérieur de l'archipel. Mais nombre de personnes travaillant en ligne se sont décidées à quitter la capitale - autant par crainte d'une contamination que par lassitude à l'égard des restrictions - pour se réfugier dans les villages touristiques désertés du littoral. Assise au balcon de l'appartement avec vue sur mer qu'elle loue avec son compagnon à San Juan, une ville de surfeurs à plusieurs heures au nord de Manille, Tanya Mariano décrit une "énorme amélioration de sa qualité de vie" grâce à cet exil marin. "Etre près de l'océan, près de la nature est très apaisant", explique cette communicante et écrivaine de 37 ans. "Quand je suis en réunion, sur Zoom ou Google Meet, je m'efforce de ne pas mettre la plage en fond", sourit-elle. "Je me mets dos à un mur pour pas qu'ils me détestent."
Aucun chiffre officiel n'existe quant au nombre de personnes qui sont parties travailler près des plages de rêve des Philippines. Mais ce n'est évidemment qu'une fraction du nombre de touristes qui entrent en temps normal dans l'archipel. La pandémie a été catastrophique pour le secteur touristique local, qui a perdu 37 milliards de dollars en 2020 du fait des restrictions aux voyages, selon des chiffres du Conseil mondial pour les voyages et le tourisme (WTTC). Il estime que deux millions d'emplois ont été supprimés. Le Bravo Beach Resort, sur l'île de Siargao, dans le sud, a été comme beaucoup d'endroits durement touché. Ce spot de surf très renommé est en temps normal pris d'assaut par les touristes philippins et étrangers. Il accueille désormais entre cinq et dix personnes à la fois en moyenne, soit environ 10% de sa capacité, selon son gérant Dennis Serrano. Pour lui, c'est un manque à gagner de 200.000 pesos (3.500 euros) par mois. Alors il espère un "retour à la normale" l'an prochain.
Même l'île de Boracay, célèbre dans le monde entier pour ses plages de sable blanc, est devenue une "ville fantôme", à en croire Eugene Flores, gérant de l'hôtel La Banca House, dont la plupart des chambres abritent désormais en long séjour des nomades numériques originaires de la capitale. Les statistiques officielles montrent que les arrivées sur l'île sont tombées à moins de 335.000 l'an passé, contre plus de deux millions en 2019. "Quand vous sortez, vous voyez des magasins, des restaurants, des hôtels fermés", décrit M. Flores. "Rares sont les endroits ouverts." Et la lenteur de la campagne de vaccination aux Philippines risque de faire tarder la reprise du secteur touristique.
Dans ce contexte, les nomades numériques sont une "cible" pour le secteur, reconnaît le ministère du Tourisme, qui encourage les hôtels à accueillir dans les meilleures conditions ces voyageurs d'un genre nouveau, en leur proposant une bonne connexion internet mais, aussi, des activités de bien-être. L'arrivée de ces travailleurs ambulants de la capitale, qui profitent quant à eux d'un meilleur pouvoir d'achat dans les provinces, permet à certains commerces de rester à flot, comme le restaurant Papa Bear de San Juan. "Vous n'êtes pas totalement saigné à blanc, vous saignez c'est sûr, mais au moins vous générez un peu de revenus", confie Denny Antonino, propriétaire du restaurant.
Ces nomades numériques représentent 30 à 40% de sa clientèle et il espère qu'ils prendront le pli de revenir même après la pandémie, afin d'encaisser les fluctuations saisonnières de son activité. "Ils peuvent travailler et, pendant leurs pauses, aller surfer, faire des randonnées, aller voir les chutes d'eau", énumère-t-il. Neuf mois après avoir quitté sa "prison", comme il décrit son appartement du quartier financier de Manille, Carlo Almendral affirme n'avoir aucune intention de rentrer dans la capitale.
Ce directeur général d'une start-up dans le domaine de l'intelligence artificielle commence ses journées par une balade à vélo dans la campagne, si les vagues ne sont pas au rendez-vous pour aller surfer. Il les achève par une réunion en visio sur la plage au coucher du soleil avec un verre de vin et Alfred, son bouledogue. "Je ne me rendais pas compte, avant d'arriver ici, du temps que je perdais à m'inquiéter de la pandémie" explique cet homme de 43 ans, dont le bureau est désormais un studio au dernier étage avec vue sur mer. "En étant ici, je suis plus productif, et plus créatif."
Source Capital avec Management